Traumavertissement : abus et violence
Ce jour 17 février — Journée autour du conte, tout commence avec le plaisir de retrouver des personnes amies. La diversité des façons de dire me frappe agréablement. Le corps placé des conteurs, des conteuses. Les usages variés de leur voix. Les contes de traditions – rois, reines, princes et princesses — les contes d’autres continents, le rapport à la nature, aux rêves, à l’entrée en action, à la morale, dans une grande variété de styles. Plusieurs de ces contes ont une face sombre, des sujets complexes abordés frontalement. Les artistes prêtent attention aux sensibilités des enfants, leurs manières de conter accompagnent, décryptent et aident à traverser les émotions. Une ombre au tableau qui frappe durement : un conte de rapt, un rapt annoncé dès avant la naissance de l’enfant, une fille. Ce qui me broie le cœur et m’enrage est qu’une fois le destin posé, rien n’est fait pour la jeune fille, personne — par le truchement du conte, par la bouche du conteur — ne lui parle, ne l’aide. De consolation il n’y en a ni pour elle, ni pour nos oreilles. On ne cherche pas la jeune fille, on ne la pleure pas. Cela se passe ainsi : après un temps de réclusion à tenter d’échapper à l’agresseur — un dieu bien connu — et pour ne pas mourir d’ennui et de solitude, elle sort cueillir avec d’autres jeunes filles. L’orage éclate, le dieu arrive. Face au danger les filles du village rusent : elles chantent qu’elles ne sont pas la cible recherchée, qu’elles ne portent pas son nom, qu’elles n’ont pas sa mère pour mère. Le dieu les épargne. Prenant la ruse à son compte, la jeune victime tente de renier sa naissance et sa mère, le conteur bégaie à ce moment de raconter, le subterfuge ne fonctionne pas. Pire, elle est trahie par son rire que déclenche…. des chatouilles « sur tout le corps » imposées par l’agresseur. Elle est emportée pour être à lui. Sur la scène, le conte est dit avec finesse, des musiciens l’accompagnent, des ritournelles et des cassures de rythmes maintiennent l’écoute, l’esthétisme cache les enjeux, il devient impossible pour les enfants de ne pas gober le message : Homme dominant, si tu le veux, une fille est à toi par nature.
A la sortie de la salle, trop en colère, je repousse le moment de parler au conteur. Une autre le fait. Il est furieux, il dénie que le traitement de son conte transmette et valorise la culture du viol. Se pose la question de raconter cette histoire empreinte de mythologie mais alors y intégrer l’époque, infléchir le récit ou le broder — à celui, à celle qui raconte de trouver comment, c’est son art. Personne, surtout pas enfant, ne devrait recevoir de plein fouet qu’un projet criminel sur son corps peut aboutir au vu et su de tous, y compris sa mère — sans alternative, sans écoute, sans aide, sans soutien.
Me revient l’histoire de Perséphone explorée et travaillée des mois durant pour *13 fiEstival MaelstrÖm RéEvolution. Perséphone, jeune fille, Coré encore innomée, alors qu’elle cueille des narcisses, est raptée par son oncle Hadès le dieu des Enfers, me revient la colère et la douleur de sa mère Demeter qui après neuf jours et neuf nuits à la chercher et la pleurer, affame la terre, Demeter que rien ne calme, qui quitte l’Olympe et n’y reviendra plus. Indéfectible elle soutient sa fille, et enfin la retrouve pour la sortir de l’Enfer la moitié de l’année, elle apporte une aide, une consolation, offre un renouveau, la possibilité d’une levée. Perséphone la silencieuse, nommée du nom qui laisse passer la lumière.(À suivre)