Cire et térébenthine, c’est avec ça que l’homme fabrique son encaustique naturel.
Toute l’année il monte à Saint-Léons, il dit comme ça Je monte aux abeilles, il va visiter le rucher, surveiller l’activité, vérifier où en sont les cadres, si le vent du nord ne fait pas trop souffrir les colonies, si les reines sont vivantes au sortir de l’hiver, et enfin il récolte le miel. L’homme récolte pour lui, chez les cousins Loulou et Pierrot et chez quelques familles du coin. Il s’agace de devoir récolter des ruches installées dans des troncs d’arbres, quand il faut couper les rayons au couteau sans voir le fond, il y en a dans les prés chez Loulou, on se fait piquer et on gâche du miel, mais Loulou s’en moque et garde ses ruches dans les troncs comme il les a toujours connues au bord de cette parcelle qui lui vient de sa mère. Le miel filtré est mis en pot après quelques semaines de décantation dans un maturateur de bois, le dépôt tombé au fond ne troublera pas le miel. L’homme offre le miel, un pot à ses filles, à ses petits enfants, on repart avec un pot à chaque visite, l’homme et le miel forment un tout. Il en mange tous les jours, répandu sur des fruits secs ou des pommes coupées en gros tronçons, parfois ajouté à des boissons toniques, rarement sur du pain qu’il digère mal. Quand il vient à manquer, quelques kilos de chez madame Muret feront le joint, elle a ses ruches à Saint-Laurent, bien exposées et en nombre, de quoi vendre au marché tout l’hiver. Lui n’a plus que quatre ruches, et le maire de Saint-Léons le lui a dit Maintenant les ruches en plein village, c’est plus possible. L’homme n’a rien changé à ses habitudes, a poussé les ruches plus près du mur en contre-bas de La Valette, et le statut-quo persiste.
Le miel récolté, l’homme s’occupe de la cire, après quelques jours sur les tamis à rendre la moindre goutte d’or liquide, il la faire fondre dans de l’eau par petite quantité, la cire légère remonte à la surface débarrassée des dernières traces de miel, plus tard l’eau sucrée sera rendue aux abeilles. Elle refroidit en galettes rondes prêtes à être échanger contre de fines plaques gaufrées qui guideront les abeilles dans la fabrique des rayons, contre quoi prendre appui pour construire les alvéoles destinées au miel, au couvin, à la propolis ou à la gelée royale. L’homme garde un ou deux tourteaux, la cire râpée est mise à fondre pour être mélangée à de la térébenthine, il en obtient un encaustique précieux à la consistance crémeuse, une noisette sur un chiffon suffit à lustrer les meubles ou à raviver les cartables, un moment après on retire le surplus, il en reste une patine à l’odeur animale et chimique. Une odeur qui me chavire.