19 janvier 2025
#69 | chronique • 1

On peut, depuis deux saisons, choisir d’écrire, plus ensemble, ou peut-être d’écrire plus, ensemble, accueillis et accueillies par TIERS LIVRE François Bon, dans le cadre d’ateliers d’écriture en ligne, Les Mardis. https://www.tierslivre.net

L’un de ces derniers mardis, nous avons expérimenté à la suite de Pierre Patrolin une sacrée piste, celle que produit sur une écriture, le titre provocateur de son livre paru chez POL en 2018 intitulé J’ai décidé d’arrêter d’écrire, phrase déclinée tout au fil du texte.

Ce mardi-là, qu’on se rassure, je n’ai pas décidé d’arrêter d’écrire, seulement de pousser loin l’hypothèse — jusqu’à la rendre crédible comme un commentaire émouvant me l’a fait comprendre. Je vous laisse juge !

Tout en écrivant, je regrettais que si souvent mes organisations et conditions de vie me contingentent et me privent de ces fameux Mardis, ma précédente participation remontait.. à avant l’été… j’étais abasourdie de le constater en notant la date dans le brouillon grand ouvert aux possibles suites, et ce, juste avant un nouvel arrêt en gare.

J’en profite pour revenir sur ce que les ateliers en ligne apportent et produisent sur les pratiques d’écritures. Pour en avoir suivi quelques-uns de diverses natures,  ils sont souvent organisés avec une proposition déclinée en trois étapes d’écriture de dix à quinze minutes, avec reprise des textes ou non d’une étape à l’autre et partages des textes par la lecture à voix haute. 

En voici deux ou trois exemples.

MATER mis au point par Hortense Raynal, offre en pause cette année 2024/2025, MOOC toujours disponible en replay 

Les séances à distance se passaient en compagnie d’une poétesse différente chaque mois, occasion de découvrir des univers variés. Hortense Raynal, elle-même poétesse, y joue un rôle actif de médiation, présentant de manière fouillée le travail particulier de chacune de ses invités, leur style et leurs voix lors d’un jeu de questions/réponses bien documenté avec projections, extraits de lecture, et toutes sources ou documents éclairant le propos, les consignes liées à ces univers donnent lieu à des textes formant un ensemble unique ou fragmenté selon les séances. Hortense limite chaque atelier à une dizaine de participantes, laissant ainsi une large part à l’échange collectif, et au final si les ambiances sont différentes d’une autrice à l’autre, chaque rencontre est l’occasion d’aller vers l’intime d’écrire de l’invitée. Le tarif de ces ateliers varie selon qu’on choisissent une séance ou le cycle, le prix des MOOC en replay est presque symbolique au regard de la ressource qu’ils représentent.

Expérience toute différente, celle d’ÉCRITURE ET BRICOLERIE, une recherche-action offerte par Nathanaëlle Quoirez lors de sa formation Animateur/trice d’Ateliers d’Écriture – UNIV Aix-Marseille https://www.instagram.com/nathanaelle.quoirez

Une quinzaine de participants se sont retrouvées au fil de cinq séances hebdomadaires. Chaque consigne comportait deux volets, celui d’un geste plastique et celui de l’écriture, les consignes étant parfois les mêmes. Ces cinq séances se sont prolongées sous l’impulsion d’une mise en situation d’écriture épistolaire échangée de manière aléatoire et anonyme en vue de réponse, posant une tension fictionnelle. Le groupe a choisi un duo de lettres, deux personnages et une fiction s’y profilaient. Nous avons entamé en groupe restreint cette fois, l’écriture d’une série de lettres entre ces deux personnages avec changement du binôme écrivant à chaque envoi/réponse, soit douze lettres. La situation s’est avérée passionnante et complexe, au fil des semaines et des échanges de lettres, le dispositif très commenté et analysé a produit un effet de mélange fiction/réel, il a suscité des échanges vifs et riches – je les garde en tête à propos de la variable distance narratrice/autrice.

J’ai aussi essayé une proposition découverte de Sébastien Bailly qui développe son activité avec ECRIRE CLAIR — sur le point de migrer vers Patreon https://www.patreon.com/sebastienbailly

Je n’ai assisté qu’à une séance découverte offerte, il s’agissait de la présentation d’une autrice et d’un aspect de son écriture à creuser par le biais d’extraits de textes lus ou donnés à lire. L’entrée en écriture était suscitée par un inducteur formel simple, et de temps de lectures partagées des textes, d’échanges de vécu d’écritures avec un retour critique constructif de Sébastien – cet atelier est très bien mené, riche et bien bordé par Sébastien Bailly, il construit un cadre rassurant et intéressant pour entrer en écriture, et y évoluer. 

J’ai tenté cet hiver un atelier qui a combiné écriture et vidéo, trois séances proposées par Miel Pagès, poétesse du livre et du web. https://mielpages.com/

Chaque séance a mêlé une thématique d’écriture à la présentation d’auteurs et autrices plus une technique de communication : son, StopMotion et vidéo, donnant lieu à des temps d’écritures et de créations audiovisuelles avec découvertes de différentes techniques de traitement ou création d’image et de son. Chaque séance comportait un visionnage de présentation de vidéos-poèmes ou lectures performées, créations sonores ou StopMotion (vidéo image par image). Ce cycle de trois séances a eu lieu trois dimanches en début de soirée entre novembre et décembre, les inscriptions pouvaient se prendre à la séance ou pour les 3 séances – environ vingt euros par séance, de mémoire – très riches en contenu et faisant appel à diverses compétences techniques, trop peut-être pour aller loin en deux heures mais donnant une excellente possibilité d’expérimenter et approfondir ultérieurement tel et tel aspect. J’ai rêvé d’une offre à venir avec des séances Écriture autonomes, occasions de se constituer un répertoire de textes de labo quand l’apport théorique et technique en Litteratube donnerait lieu à des séances spécifiques de créations multimédias de ces textes. La proposition de plateforme de partage de textes, de vidéos-poèmes et de «bons» trucs à partager (logiciels, playslists…) a été peu utilisée, ce qui est compréhensible sur une durée si courte et entre des personnes se connaissant pas ou presque. La richesse de la littérature véhiculée par Internet, notamment YouTube a de belles heures quand on voit ce que nos trouvailles ont révélé de potentiel.

Je n’ai jamais suivi d’atelier sur la durée en groupe avec animateur régulier en présentiel, mais seulement des séances uniques données par des auteurs et autrices invitées par une bibliothèque, un festival, une librairie… des rencontres intenses et mémorables qui vont droit au coeur de l’écriture de l’artiste, en sa présence, donc chargées d’émotion et d’effets instantanés sur l’écriture et son partage . 

Enfin, j’ai contribué à organiser des ateliers pour les habitants du Haut-Jura, menés sur une douzaine de séances par un auteur en résidence au long de l’hiver. Cet atelier donnant lieu à restitution ou pas lors de l’événement phare de la Maison de poésie de l’automne suivant. Au fil des années, pour les participants d’un groupe assez stable au final, ce fut un bel ensemble de rencontres et d’échanges, une entrée dans les univers des auteurs et autrices en résidence, d’horizons et pays différents, aux écritures complexes politiquement et poétiquement. J’y repense comme une action d’éducation populaire par excellence (ateliers gratuits car financés par le projet de la maison de Poésie, permettant un accès à l’autonomie d’agir).

Pourquoi je vous raconte tout ça, me direz-vous ? Et bien pour revenir aux Mardis, ateliers en ligne avec animateur et écriture immédiate, une des possibilités d’écrire que propose François Bon parmi d’autres, le processus d’écriture est, de mon point de vue, ailleurs, par rapport aux expériences rapportées ci-dessus, dans un ailleurs en permanent décalage dû au type de propositions, à leur audace liée à la créativité de François Bon quand il s’agit pour lui, de penser l’écriture de l’autre, d’en tirer des fils et d’en faire des cathédrales, non, des rivières, non, des villes tentaculaires. Le coût de cet atelier est très modique car il est inclus dans tout l’ensemble de l’offre Tiers-Livre sur Patreon, cette offre est si généreuse qu’on pourrait ne faire que ça ! Et des fois on le fait, et c’est génial, et des fois on le fait moins et c’est là quand même. 

Je dirai que les Mardis fonctionnent comme un espace transitionnel, à la fois intérieur et extérieur. Par la forme de la proposition et la longueur du temps d’écrire. Ils sont rares les endroits/liens/interactions ayant cette qualité. Après la proposition construite dans une oralité captivante qui mène à écrire, avec souvent une part d’incertain dans le développement, il y a du performatif dans le temps d’écrire sans interruption, une qualité d’écriture qui montre un dépassement de soi, une action au plus fort de l’instantané puis il y a du performatif dans la compilation immédiate de l’ensemble des textes et enfin dans leur lecture à voix haute, ce qui s’y mêle — le trac, la timidité, le manque de pratique, l’écoute de sa voix lisant — et s’y joue, les conseils et décorticages des effets de lecture — vitesse, prononciation, rythme, pause — ce que le sonore du texte apporte à qui le dit et à qui l’entend, ce que nos écritures ultérieures peuvent y puiser de pistes pour ces fameuses « réécritures », « reprises », « corrections » qui ont si souvent été évoquées entre nous, avec cette part de mystère quand le texte échappe, qu’on n’y arrive pas comme on voudrait, qu’on ne voit pas par « quel bout le prendre » pour le faire évoluer.

Dans l’espace transitionnel des mardis, nous partageons un espace d’émancipation qui porte en lui l’étayage et la sécurité, la possibilité d’avoir le monde dans le creux de la main, de retrouver le monde en écartant les doigts devant nos yeux. 

Alors, à Mardi ?  

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