Une ligne qui borde une joue, des cheveux mal coupés, en désordre, trop courts façon garçon manqué. Des vêtements d’autrefois étrangement choisis, ajustés ou sans forme. Quant aux robes chasubles, un modèle empêchant de grimper, de courir, de monter à vélo sans dévoiler le haut les jambes, sans laisser voir la culotte, trois robes, l’une orange à bretelle, l’autre bleue épaulée de volants, la troisième avec une poche plaquée façon salopette, un patron et trois robes : voilà la bonne affaire. Et la coupe est parfaite.
Il existe des images de soi ici et là dispersées, sur du papier glacé, image entourée de festons ou simplement bordée de blanc, éparpillées dans des boites, des enveloppes, rangées dans des albums, collées de travers ou maintenues en place par des feuilles de cellophane. Aplats de couleurs et de lumière, reflets et ombres qui font dire C’est moi.
Photos posées face à l’objectif, sourire pour faire plaisir, et après on fait quoi ? De certaines, on sait l’heure et le lieu, d’autres il ne reste aucun souvenir, il faut l’angle d’un mur, un motif de tapisserie ou un coin de meuble, pour dire C’est l’été ici, ou Noël là-bas
Si l’appareil cadre le sujet, le sérieux ou l’expression rieuse pour un cliché à la volée, les traits se tendent, la tête bouge et l’expression s’efface. Essayer de retrouver la position et l’élan initial ne sert à rien, l’effort se voit, l’appareil se détourne, mauvais sujet, moche en photo. Tu m’avais vu ?
Si la lumière cisaille le visage, si le modèle bouge trop pour se laisser capturer, que le résultat soit flou, grimaçant ou asymétrique, le cliché est jeté. On gâche la pellicule.

Si des images bougent dans un court film super 8 dont on se voit traverser les diagonales, le petit corps est-il le nôtre ? Il a disparu depuis si longtemps — chaque trois mois les os sont entièrement renouvelés, tous les vingt-huit jours la peau profonde remplace la peau superficielle, entre-temps les cellules neuves sont en train de croître. Ce serait bien nous si notre cerveau comme on le dit encore, échappait à ce destin, inventait un corps durable. Seulement aujourd’hui la recherche invite à tempérer cette vision : une partie des cellules du système nerveux est remplacée, lentement, voire très lentement, les neurones sont des cellules éphémères et mouvantes que de nouvelles connexions modifient constamment. Alors en quoi l’image capturée sur pellicule et rendue sur papier est-elle ou n’est-elle pas nous. Et comment dire encore d’une ombre dans la lumière Pas d’erreur. C’est mon nez.
Dans une des boîtes, la petite photo carrée. C’est au pied d’un escalier par un matin froid à prendre la pause devant la rampe ouvragée qui monte aux étages. Manteau rouge, pieds chaussés de bottines blanches impeccablement nettoyées, cheveux frisés attachés de rubans, bras sans force, petit corps emmitouflé, côte à côte avec un autre manteau, la paire de bottines, les rubans noués, le manteau boutonné jusqu’au cou, les chaussures serrées sur les chevilles, poupées de chair, jumelles de chiffon, sourires qui tirent les lèvres, l’attention de bien faire, la crainte de ne pas être réussies. Donnez-vous la main. Ne bougez plus.