24 novembre 2024
#63 | marchande de couleur 7 • transformations

Jardin. Les framboises ne se mangent pas. Ne pas les ramasser. Rarement une permission pour en cueillir deux ou trois, les goûter et la règle s’applique à nouveau. On ne mange pas les framboises.

Exception. Pour les fraises, la chose est assouplie, on en ramasse pour le dessert, le dimanche, parfois un autre jour si l’envie nous en vient et si les pieds donnent suffisamment, elles sont triées, coupées en tranches régulières, mises au sucre dans un saladier et servies avec des biscuits.

Cueillette. Les framboises sont au frais, le temps d’en avoir une bonne casserole, puis lentement chauffées sans bouillir, éclatées plutôt que cuites, avant d’être écrasées dans une passoire à l’aide d’un pilon de bois imprégné de pourpre à force de ne servir qu’à ce geste. Presser les fruits juteux et en extraire la moindre goutte. Travailler longtemps. Ne rien perdre. Les pépins deviennent une matière sèche et compacte. Du sucre dans le jus tiède qui repart en chauffe. Le sirop est mis en bouteille, chaque bouteille scellée d’une bonne cuillère à soupe de rhum. Ni air ni bactérie. Le sirop se garde. Les bouteilles s’alignent au fil des mois. D’août à octobre. Au prix d’une discipline stricte. Récolte, extraction, sirop.

Dégustation. À l’ouverture, la première cuillère est un délice de fruits et de rhum adouci de sucre. Le sirop sur la table à chaque repas délivre sa saveur douce et acidulée de bonbon. Inimitable. Généreuse. Le goût fort de l’été, du fruit, de la patiente attention.

Gourmandise. Sur du fromage blanc étalé en rond dans une assiette à dessert, je verse le sirop au long d’un mouvement qui voit une ligne se former, selon les jours je fais apparaître le dessin rouge d’un visage, d’une maison ou seulement une arabesque, je remplis une deuxième cuillère de nectar, on a droit à deux cuillères, je laisse tomber de petites gouttes ça et là, je m’applique, si le sirop ne déborde pas, ne bave pas d’une zone à l’autre, l’assiette s’anime, elle vit, je fais durer longtemps sa décoration avant d’organiser de la manger selon un scénario souvent le même où il est impossible de résister, une fois la première bouchée passée le ton est donné. Histoire de dévoration. Détail du dessin après détail. Sans bruit ni mots. Jusqu’au dernier peu à lécher au fond de l’assiette. Et sur les bords. En la tenant à deux mains cachant ma langue rendue folle.

Horloge. On alterne une bouteille de framboise avec une bouteille de fraise. On en a assez pour attendre la saison prochaine, celle de l’été et des cueillettes, le temps du jardin, le temps des cueillettes et des cuissons. Des framboises. Réservées. Pour le sirop. 

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