15 décembre 2024
#66 | froide des longues nuits

Aujourd’hui serait pleine lune dit-on, la dernière des lunes dans sa brume froide par ici, lune brillante aux orées des forêts d’outre-lieu là-bas où sont les vivantes, là-bas où sont les amies des côtes riches aux endroits des Equateurs, aux endroits nommés des envahisseurs, aux cœurs des mondes que leurs gestes de femmes maintiennent, dans les forêts héritées d’héritages de mères en filles, de plus loin que le temps du partage ordonné par le dieu créateur, frère de Tapir et de Mer, mari de Cacao. 

Je ne sais rien de la lune vers qui les femmes des forêts prennent conseils, je sais seulement qu’aujourd’hui, au jour de la plénitude, a lieu la cueillette des fruits verts, larges et lourds régimes en partance vers les transformations, murissoir, épluchage et broyage en vue d’exportation, fruits précieusement cultivés au devenir d’ingrédient, le cadeau des forêts et de l’attention aux forêts garantie économique pour les humains de la rivière, les femmes et les hommes du peuple Bribri. 

Les mains des femmes sur les fruits, le portage jusqu’au bateau à fond plat, la descente du fleuve, l’accostage, le hangar et l’usine inscrivent celles qui écoutent la lune, celles qui savent les rituels du chocolat, et ceux à leur côtés, dans l’ensemble du monde. Seulement les fruits, dès lors que nos mains les touchent, nos yeux s’y posent et nos bouches y goûtent, sont séparés des forêts et des lunes, des rivières et des trajets tourmentés. Un mot ou deux restent sur une étiquette criarde. Et si la lune les a accompagnés, si les femmes ont laissé en partage une part de recolte aux oiseaux, si les hommes ont bu le chocolat avant de cueillir, de porter, de naviguer, nos mains, nos yeux et nos bouches n’en savent rien et un label ne raconte que la goutte d’eau équitable noyée dans les débordements d’une terre abusée par un fruit furieusement produit.

Le silence revenu, la vie des forêts et des lunes, des femmes et des secrètes célébrations, des transmissions et des transformations résonnent dans l’écho fragmenté d’un alphabet d’arbres et de cris rocailleux de merle gris annonciateurs de pluie. Dans l’amertume du maïs fermenté. Dans le grelot d’un noyau de prune. Dans les sifflements d’un petit boa caché au sec d’une maison ronde.