Ce soir au camp, on annonce du riz au lait au chocolat cuisiné par son groupe, cinq filles qui ne se sont pas choisies mais se connaissent depuis deux ans. Elle n’a jamais mangé ça, ni jamais goûté ça, ou jamais vu cuire ça. Elle connaît un dessert au riz, celui de sa mère : le caramel mis à fondre dans un moule couronne, l’odeur sucrée et excitante qui prend le dessus sur la vanille et le rhum quand les grains gorgés de lait sont versés sur les œufs battus, la cuisson au four dans un bain-marie, le dessert tiède servi avec de la confiture d’abricot.
Ce soir au camp, à leur tour de préparer le dessert dans la grosse gamelle en aluminium, le lait froid et le riz mélangés puis mis à chauffer, elles ajoutent le sucre, où est le chocolat ? Un chef les surveille Tournez, tournez bien fort, sans vous arrêter. Dans la casserole, la cuillère en bois s’alourdit, autour du trépied à gaz elles se penchent, poussent et tirent mais le riz ne cuit plus, le lait bout trop fort, l’ensemble devient pâteux et ça accroche, l’inquiétude est là, pour obtenir une étoile elles doivent recevoir des félicitations, mais le riz reste dur, tout le lait a été absorbé. On peut mettre encore du lait ? Le chef répond qu’il n’y en plus une goutte, et aucune d’entre elles ne sait qu’un peu d’eau ferait l’affaire, de toute façon le riz brûle au fond de la gamelle dégageant une odeur âcre. Arrêtez les filles, fermez le gaz, vite.
À la fin du repas, une grosse cuillerée informe saupoudrée de cacao est servie dans un verre rond, tous les enfants de la troupe crient Hip Hip Hip Hourra ! Et pour l’étoile, c’est gagné. Comme les autres, elle salue en pliant une jambe devant l’autre, mais elle entend une petite voix lui dire que le riz au lait au chocolat, elle n’en refera jamais.